Le médecin du travail, professionnel de santé amené à examiner les salariés et à connaître les conditions de travail de leur entreprise, commet-il une faute en faisant un lien entre état de santé et travail ? Le Conseil de l’Ordre des médecins s’est de nouveau prononcé en sanctionnant un médecin du travail.
Le Dr Djémil, médecin du travail, devait se présenter en appel devant la chambre disciplinaire du Conseil national de l’Ordre le 11 avril 2018 pour avoir fait un lien entre état de santé et travail dans 2 cas qui relèveraient du harcèlement sexuel. En 1re instance, elle avait été condamnée à 6 mois d’interdiction d’exercice.
Retour sur cette actualité avec le Professeur Fantoni-Quinton, professeur des universités, praticien hospitalier et docteur en droit, qui apporte son éclairage…
Pouvez-vous, tout d’abord, nous rappeler les obligations déontologiques des médecins ? Qui a la faculté de saisir le Conseil de l’Ordre en cas de non-respect de ces obligations ?
Les médecins du travail sont tenus au respect de toutes les règles déontologiques au même titre que tous les autres médecins, à savoir notamment :
• le secret professionnel ;
• s’agissant des certificats médicaux et courriers, l’interdiction de faire des certificats abusifs, de complaisance (inaptitude trop rapidement constatée sur la base des seuls dires du salarié), de faux certificats ou des rapports tendancieux.
Tout le monde peut saisir le Conseil de l’Ordre : l’employeur, le salarié, les autres médecins, les associations de malades, les organismes de Sécurité sociale…
Dans quelles circonstances le Conseil de l’Ordre des médecins a-t-il été amené à se prononcer s’agissant de médecins du travail ? S’agissait-il de cas de souffrance au travail de salariés par exemple ?
Le Conseil de l’Ordre a été principalement saisi dans 2 types de cas :
• le lien entre santé et causes professionnelles : Il s’agit de cas où le médecin a pu rattacher une pathologie au travail sans pour autant constater factuellement l’exposition (par exemple dans le cas des risques psychosociaux (RPS) : imputation de la pathologie ou de l’inaptitude aux relations de travail) ;
• en cas de constat d’inaptitude en un seul et unique examen sur la base des seuls dires du salarié, sans être allé voir le poste de travail, échanger avec l’employeur, etc.
Un médecin du travail ne peut-il donc jamais faire de lien entre état de santé d’un salarié et conditions de travail ?
Bien au contraire ! Il peut le faire :
• quand il a lui-même vérifié la matérialité des expositions professionnelles (par son action en milieu de travail, ou via les fiches d’entreprise par exemple) directement ou indirectement (dossier médical en santé au travail renseigné par un confrère notamment) ;
• quand, sans avoir l’ensemble des éléments matériellement vérifiables, il dispose d’un faisceau d’arguments concordants qui lui permettent de relier état de santé et travail. Par exemple, dans le cas des RPS, il peut s’agir de l’intervention de l’inspecteur du travail, du CHSCT, etc.
Quels conseils donneriez-vous aux médecins pour rédiger des écrits (certificats, etc.) ?
De soigner la forme, de ne mettre dans les écrits que les constats personnels ou avérés et de ne mentionner, à défaut, que les éléments médicaux constatés. S’il rapporte des indications fournies par le seul salarié, le médecin doit alors mentionner expressément « Monsieur X me dit que… ». Cela ne nuit pas aux intérêts du salarié car il ne faut pas oublier qu’en cas de déclaration de lésion professionnelle, il y aura instruction par la Sécurité sociale.
AUTEUR : Sabine Guichard