Thibaud Brière, philosophe, explique les principes à appliquer pour que le management participatif porte ses fruits…
Comment débutez-vous une réunion participative ?
Dans une formation au management d’équipe, on commence par définir de manière collective les termes du sujet. Par exemple en demandant : « Qu’est-ce que c’est pour vous une équipe ? Le management ? ». La co-construction des définitions et la détermination de la problématique constituent un moment essentiel. Pour ce faire, l’animateur doit avoir un rôle d’autant plus directif sur la forme (la méthode, la conduite de réunion) qu’il est moins directif sur le contenu des débats. A lui de distribuer la parole équitablement, de faire reformuler par les uns ce que d’autres ont dit, de veiller à l’avancée des débats, etc. Il est souvent utile de faire des tours de table, en commençant par celui qui est généralement de l’avis des autres afin de l’obliger à se positionner. Car l’objectif est de favoriser l’esprit critique et l’expression d’opinions les plus diverses possible.
Quelles techniques utilisez-vous pour faire émerger ces opinions contradictoires ?
L’expression d’opinions diverses, si ce n’est même contradictoires, est une condition de toute intelligence collective. Or on peut être collectivement inintelligent, par conformisme, mimétisme conscient ou inconscient, du manager par exemple. Quand tous pensent la même chose, c’est que plus personne ne pense. L’animateur doit donc tout d’abord être formé à déceler les phénomènes d’emballement collectif (ou de bouc émissaire) qui réduisent la diversité cognitive du groupe. La meilleure façon de contrecarrer ces phénomènes d’inintelligence de groupe, c’est de rendre le groupe conscient de ce qui se passe. René Girard rappelait ce proverbe talmudique : « Si un accusé fait l’unanimité des juges contre lui, libère-le » : le consensus est à priori suspect.
Pour préserver une authentique diversité de points de vue, l’animateur doit en outre systématiquement contrebalancer la tendance lourde du groupe, l’opinion majoritaire en train d’émerger. Aller en sens contraire. Pour ce faire, il peut soutenir du mieux qu’il peut le point de vue minoritaire, pour le valoriser. Qu’il soit personnellement d’accord avec lui ou pas. Car un point de vue pertinent peut être mal soutenu et se retrouver minoritaire, alors qu’un point de vue erroné peut être admirablement soutenu : c’est tout l’art des sophistes, si nuisible à des prises de décisions pertinentes en entreprise.
Le manager doit donc se montrer guidant ?
Oui, sachant que l’exemplarité attendue d’un manager n’est pas l’impeccabilité. Il ne peut pas prêcher des comportements qu’il ne mettrait pas d’abord en œuvre. Il ne peut notamment pas demander aux membres de son équipe de s’exprimer pour reconnaître aussi leurs éventuelles insuffisances professionnelles, si lui-même ne commence pas par le faire. S’il veut la transparence, la confiance, un « parler vrai », alors il doit, le premier, partager ses torts : « tel client, je m’étais engagé le mois dernier à l’appeler, et je ne l’ai pas fait ». L’exemplarité est la capacité à reconnaître qu’on ne l’est pas toujours.
On pourrait parler d’apprentissage par observation et mimétisme ?
L’humain préfère souvent voir la paille dans l’œil d’un autre plutôt que la poutre dans son propre œil, comme le ferait un manager disant « allez-y, dites tout ce que vous faites mal » sans partager lui-même. C’est une injonction contradictoire ! On ne pourra avoir qu’une participation de façade si le manager ne montre pas l’exemple. Les membres de l’équipe participeront dans le sens de ce qu’ils présument qu’on attend d’eux ; ils diront du bien d’eux-mêmes et de l’entreprise en fonction des exigences sociales du milieu dans lequel ils évoluent. J’observe des différences culturelles notables entre les entreprises où la sécurité de l’emploi existe et les autres. Les personnes ayant peur de perdre leur emploi jouent d’abord un jeu social parce qu’elles cherchent à sécuriser leur place ; elles se conforment aux attentes de leur organisation et leurs prises de parole vont en ce sens. Dans une SCOP, les personnes sont davantage elles-mêmes, de sorte qu’il y a plus d’efficacité, on perd moins de temps et d’énergie à faire semblant. Même si la participation est moindre quantitativement, elle est de meilleure qualité. Les grandes entreprises, en voulant la maximiser à tout prix et en cherchant à la contrôler, ne génèrent qu’une participation artificielle. Mais elles peuvent se donner bonne conscience et communiquer sur ce point.
Comment éviter cette fausse participation ?
Une solution est que l’animateur de la réunion ne soit pas le manager et qu’à chaque réunion, il distribue quelques rôles. Le plus important est sans doute de nommer un « avocat du diable », officiellement chargé de systématiquement exprimer un point de vue contradictoire à celui qui est majoritaire (« voilà en quoi cette solution ne va pas marcher »). Ensuite, l’animateur peut nommer un « gardien du temps », chargé de s’assurer que les plus à l’aise ne monopolisent pas la parole ; à lui de garantir l’équité des temps de parole, en fonction du nombre de points à l’ordre du jour restants. Il alerte les participants « X a déjà parlé 40 minutes ». L’animateur a donc un rôle directif : il peut couper la parole pour la redistribuer, demander à l’un de reformuler en une phrase son point de vue exprimé depuis 10 minutes, pointer des contradictions. Ce n’est pas un simple animateur ne visant qu’à ce que les gens se sentent à l’aise ; il peut être amené à dire « tu redis ce que X vient de dire, as-tu quelque chose à apporter de différent ? ». Bien entendu, il y a l’art et la manière de dire les choses, il faut le faire aussi finement que possible.
L’animateur doit donc canaliser le verbal et le non verbal ?
Oui, il fait prendre conscience des attitudes des uns et des autres : « Tu hausses le ton, implicitement tu cherches à intimer les autres ». On compense en effet souvent un défaut d’argumentation par un surcroît d’intensité verbale. Plus la situation semble explosive, conflictuelle, plus l’animateur doit faire preuve d’un surcroît de calme destiné à faire apparaître, par contraste, la violence verbale qui s’exprime, quand il ne juge pas utile de la juguler immédiatement. Progressivement, cette animation de la réunion peut se faire par les pairs également : l’autorégulation du groupe par le groupe est l’idéal vers lequel tendre.
Diplômé de HEC et de la Sorbonne, Thibaud Brière conjugue pratique de la philosophie et accompagnement des entreprises depuis 20 ans. Il est également associé au Programme d’Etudes sur les Organisations Post-Managériales et la Libération des Entreprises (PEOPLE).
AUTEUR : Emma Pitzalis
Psychologue clinicienne – Consultante