Selon les spécialistes, le stress professionnel chez les cadres n’est pas qu’une affaire de surcharge de travail.
Les cadres travaillent beaucoup, longtemps et sur des tâches exigeantes : le chirurgien coupant l’aorte qui arrive au cœur de son patient, le pilote faisant atterrir un avion rempli de passagers, ou encore le trader misant des milliers d’euros à la minute, par exemple. « Les métiers cadres sont par nature stressants », admet Marielle Dumortier, médecin du travail à l’unité des pathologies professionnelles du centre hospitalier intercommunal de Créteil. Mais s’ils le sont de plus en plus, c’est à cause d’autres facteurs.
1. Les cadres doivent jongler entre de nombreuses missions
En premier lieu, l’intensification du travail. 74,8 % des cadres doivent fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente, contre 59,3 % en 1998, révélait déjà en 2013 l’enquête Conditions de travail de la Dares. « C’est ce que l’on appelle le zapping permanent, explique Patrick Légeron, psychiatre et fondateur du cabinet de conseil spécialiste de la santé psychologique au travail Stimulus. Les cadres jonglent sans cesse d’un sujet à un autre. »
2. Une surcharge mentale
Les nouvelles technologies s’ajoutent à cette forte charge mentale. Sans compter que souvent, « les cadres font le travail d’un ou deux collègues non remplacés », constate Marielle Dumortier. « Ce qui signifie qu’ils ont énormément de choses dans la tête, des informations parfois difficiles, complexes et nombreuses », résume Patrick Légeron. « Ils passent aussi plus de temps à faire du reporting, ajoute Marielle Dumortier, car c’est sur ça qu’on va les évaluer. »
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3. La pression des objectifs
À ce travail par nature stressant, qui devient de plus en plus haché et dense, s’ajoute donc la pression des objectifs. « En France, les entreprises ont tendance à fixer des objectifs extrêmement élevés pour motiver les salariés », constate Patrick Légeron. Une situation d’autant plus mal vécue que les cadres peuvent de moins en moins choisir eux-mêmes la façon d’atteindre ces objectifs.
4. Une marge de manœuvre décisionnelle limitée
« Les cadres manquent de plus en plus d’autonomie, corrobore Patrick Légeron. Ils doivent suivre des process, parfois rigides, sans marge de manœuvre. » Or selon le modèle Karasek – l’un des plus utilisé pour mesurer les risques psychosociaux en entreprise -, on parle de job strain, ou de tension au travail, quand la quantité de tâches est importante mais que la personne concernée ne dispose que d’une marge de manœuvre décisionnelle limitée. Patrick Légeron emploi le mot d’hyperstress et 24 % des cadres seraient dans cette situation aujourd’hui selon l’Observatoire du Stress au Travail publié en novembre 2017.
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5. Restructurations, open space, sentiment d’insécurité…
S’ajoutent au tableau des facteurs de stress au travail chez les cadres les changements dans les entreprises, parfois mal vécus. Parmi eux, les restructurations, que les cols blancs doivent faire vivre à leurs collaborateurs sans forcément toujours y adhérer : les nouvelles organisations plus souples, la généralisation des open space, la perte du bureau personnel, parfois ressentie « comme une perte de statut ainsi que l’insécurité de la situation d’emploi, ajoute Patrick Légeron. Au-delà de la peur de perdre son emploi, on sait très bien que dans un an ou deux on ne fera plus la même chose. Il y a ce sentiment que même si on travaille dur, on n’est plus à l’abri. »
6. Un manque de solidarité entre collaborateurs
Mais la véritable cause sous-jacente du stress au travail chez les cadres, c’est le manque de soutien social. Le sociologue Dennis Monneuse le souligne dans son livre, Le silence des cadres (ed. Vuibert, 2014) : « les cadres souffrent d’une solitude intellectuelle, d’un manque de soutien de leur hiérarchie et d’un défaut de solidarité avec les autres collègues cadres. » Or en situation de stress, le corps humain secrète de l’ocytocine, une hormone qui nous pousse à aller vers les autres, comme l’explique la psychologue américaine Kelly McGonigal dans une conférence TED. C’est, selon elle, notre mécanisme de résistance au stress car quand vous communiquez avec d’autres en situation de stress, vous créez de la résilience. Une résilience dont sont privés les cadres au grand dam de Marielle Dumortier qui appelle à recréer du collectif dans les entreprises.
Une question de perception
« Si la plupart des causes de stress au bureau sont liées à la manière dont le travail est conçu et dont l’organisation, ou l’entreprise, est gérée », comme l’indique l’ouvrage Organisation du travail et stress publié par l’Organisation mondiale de la santé en 2004, le stress dépend aussi de l’individu. « C’est la perception des facteurs de stress qui fera qu’ils vont devenir plus ou moins stressants pour l’individu, en fonction de ce qu’il imagine, pense et croit, consciemment ou pas, explique Alain Duluc, manager Cegos en charge notamment des formations à la gestion du stress pour les cadres. La psychologue américaine Kelly McGonigal le confirme : c’est quand l’on pense que le stress est mauvais qu’il l’est effectivement pour notre santé. (Elodie Balbuzard)